Rendez-vous
Caroline Minjolle
J’ai, depuis le 19 mai 1995, rendez-vous une fois par mois avec des morceaux de moi.
D’abord ce fut avec mon ventre, qui s’arrondissait sans fin autour du nombril.
Ce sont aujourd’hui Merlin et Basil, morceaux de moi de sexe masculin, qui n’en finissent pas de se déployer dans et hors l’image.
Le cadre de la rencontre est simple: un carré blanc de six centimètres de côté et l’envie de jouer le jeu le temps de douze poses.
La « photo du mois » est devenue notre work in progress intime (la «photo du toi», comme disait un temps le plus jeune de ses participants), une sorte de journal de bord physionomique.
Tout avait commencé sous forme d’exercice de style explorant l’arrondi de la chair. Mais bien vite les images se sont emboîtées pour raconter l’histoire largement plus complexe de l’être en devenir, jonglant avec ses identités, la représentation d’idéaux réels et fictifs ainsi qu’avec l’actualité des accessoires mis en scène. Ainsi l’embryon invisible ne mute pas seulement de l’état de bébé à celui d’enfant, dont les traits laissent peu à peu deviner l’adolescent. Libre à lui aussi de s’inventer créature de conte, héros de science-fiction ou personnage de bande dessinée. Laissant deviner non seulement la complexité de son imaginaire, mais aussi les écueils quotidiens de la configuration familiale et du jeu de rôles qui la sous-tend.