La «Shoe Box» de Seba Kurtis ne fait pas référence à l’objet lui-même, mais à son contenu : des clichés de famille, laissés loin derrière elle, dans une boîte à chaussures, alors que, sous la pression de la crise économique et politique, la famille fuit Buenos Aires; ses membres deviendront des immigrés illégaux en Espagne. Récupérés des années plus tard, les instantanés sont abîmés, marqués par le temps et un dégât d’eau. L’attention à l’aspect esthétique de ces traces de destruction permet au photographe de créer un monde riche de sens dans lequel l’identité et la mémoire jouent un rôle important. Les rectos et les versos mettent en évidence l’apparence picturale de ces empreintes abstraites laissées par le temps. Le support brillant, rongé et décoloré, laisse apparaître des taches diffuses, comme des fumerolles s’échappant de l’émulsion.
Le photographe met ainsi en évidence l’instabilité du procédé chimique qui semble fonctionner comme une métaphore de la mémoire s’érodant et changeant au fil du temps. Ceci évoque la nature éphémère de notre condition humaine que l’artiste a expérimentée de très près à travers les années passées comme clandestin. En réinterprétant son album de famille, Seba Kurtis participe à cette interrogation constante de l’art contemporain: un questionnement du sens et de la forme de l’archive, de la mémoire, de la représentation du passé. Le photographe joue sur la double dimension du langage de la photographie de famille: reflet commun de la mémoire familiale et source d’information historique. La «Shoe Box» fonctionne comme un marqueur de temps, symbolisant cette rupture biographique, l’«avant» et l’«après», marquée par l’expérience de la migration. La composition des images, les scènes de vie représentées apparaissent comme familières, à travers le souvenir de nos propres albums de famille. Seba Kurtis offre ainsi un témoignage de sa biographie dont la mise en mémoire nous renvoie ultimement à la nôtre. (Evelyne Pfeifer)
Année de production : 2008
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