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Journées photographiques de Bienne, 3.–26.5.2024

Box
Anja Schori

Avec le projet “Box” (2008), travail de diplôme de l’Ecole Cantonale d’Art de Lausanne, la jeune photographe Anja Schori illustre le monde méconnu et peu médiatisé de la boxe féminine. Un univers qui, contrairement à celui dominé par des noms tels ceux de Primo Carnera, Rocky Marciano ou encore Mike Tyson, ne connaît pas la même histoire légendaire ni le même succès médiatique. Dans le souci de révéler les différents aspects et facettes qui caractérisent la boxe déclinée au féminin, Anja Schori se munit d’un regard tantôt intime et direct, tantôt glamour et sensuel. Qu’il s’agisse du portrait d’un visage encore transpirant après une éprouvante séance d’entraînement illuminé par d’éclatants yeux verts, d’un poing prêt à décocher un coup décisif, d’une silhouette prête à bondir au début du premier round, les nombreux clichés montrent parfois une énergie débordante, parfois une détermination sans faille et souvent une indéniable sensualité. Suivant la nécessité, l’intention ou la recherche d’un rendu particulier des clichés, Anja Schori s’arme d’un reflex argentique, d’un appareil numérique, empoigne sa M6 ou immortalise son sujet avec un simple appareil analogique compact. Ainsi, un tirage couleur aux contrastes sophistiqués d’un portrait en gros plan, une séquence en noir et blanc d’un entraînement ou encore l’image d’un regard déterminé se mélangent sans cesse tels des enchaînements ou un coup droite gauche esquivé par un habile décalage latéral.

Comme le remarquait Barthes dans ses “Mythologies “, tout combat de boxe partage avec le catch une dimension grandiloquente et hautement spectaculaire. Il suffit de mentionner le cirque médiatique généré par l’historique combat entre Ali et Foreman à Kinshasa ou les spectaculaires combats au MGM de Las Vegas. Cependant, contrairement à un combat de catch qui impose au public une lecture immédiate et emphatique de chaque geste, un match de boxe est une histoire qui se construit en permanence sous les yeux des spectateurs. Tout mouvement s’inscrit ainsi dans la durée de l’événement, s’étendant toujours vers le couronnement d’une issue, dans l’”avenir rationnel du combat” dans lequel le résultat reste inintelligible jusqu’au son de la cloche qui annonce la fin du dernier round. Le ring est de fait le lieu de l’affrontement, synonyme du combat corps à corps et du défi sans merci ; confrontation physique qui implique autant d’érotisme que d’héroïsme, dans laquelle les pugilistes s’esquivent et se rapprochent sans cesse dans le but ultime de terrasser définitivement l’adversaire. À l’origine, des jeux funèbres organisés en l’honneur des victimes de guerre, décrits par Homère dans l’”Iliade” (XXIII) et discipline olympique à partir de 668 avant J.-C. le pugilat s’est depuis ses débuts chargé d’une dimension mythique qui perdure dans les arènes contemporaines. Dans cette mythologie uniquement masculine, les femmes n’ont longtemps occupé qu’une place accessoire en tant que femmes / images, objets en exhibition entre les rounds à regarder par un public enthousiaste et excité. Dans cet univers où la testostérone s’érige en maître incontesté, Anja Schori donne la parole à des boxeuses qui, dans ce monde, ont sûrement leur mot à dire. Des cadrages serrés sur un vieux gant de cuir ou des punching-balls déposés dans un coin de la salle ; des images représentant des séances d’entraînement intense alternent aves des images plus intimistes dans lesquelles les sous-vêtements abandonnés dans les vestiaires apparaissent tels des vestiges d’une victoire consommée dans un ring désormais déserté.Anja Schori se plaît à jouer avec les symboles hérités d’un monde de guerriers et à détourner avec subtilité et une certaine ambiguïté les clichés qui peuplent d’une manière ou d’une autre l’imaginaire masculin : des portraits en noir et blanc qui rappellent ces magnifiques pin up des magazines des années 1950, des femmes en tenues sexy et minimales qui offrent à l’objectif leurs corps toniques et sensuels telles des mannequins pendant un “shooting” de mode, mais surtout des sportives qui s’imposent avec une détermination exemplaire dans un monde nostalgique et fortement patriarcal. Par ailleurs, les quelques hommes photographiés apparaissent dans des rôles paradoxalement marginaux et souvent relégués à des fonctions simplement auxiliaires. Les images de différents formats et hétéroclites se succèdent le long des nombreuses pages d’une édition volontairement précieuse qui renvoie sans détours à ces magazines de papier glacé dans lesquels des images publicitaires impeccablement élaborées côtoient des clichés documentaires aux couleurs luisantes. L’attention portée par la photographe à la mise en page raffinée et au “layout” qui invite le lecteur / spectateur à une lecture rythmée et dynamique, confère au travail une dimension intermédiaire entre le documentaire et le reportage de mode. D’autant plus qu’une attention particulière est donnée à la typographie des citations agencées d’après une logique qui s’apparente de manière certaine à celle qui caractérise les reportages des magazines glamour. L’aspect social et celui clairement plus esthétisant de la photographie de mode se suivent, se mêlent et se confrontent grâce à une habile variation des formats et des cadrages ainsi qu’à une variation formelle avisée des tirages. Dans le souci de ne pas s’astreindre aux codes qui imposent traditionnellement le noir et blanc au style documentaire et les couleurs saturées à la photographie de mode, Anja Schori brouille les frontières, survole les genres et redéfinit des limites clairement plus labiles. (Patrick Gosatti)

Année de production : 2008

headphone Anja Schori

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