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Journées photographiques de Bienne, 3.–26.5.2024

System Research #2 Intimacy
Alexander Odermatt

Le titre de la série le laisse deviner, les travaux d’Alexander Odermatt s’inscrivent dans une continuité. A ce jour, il existe quatre séries intitulées “System Research”, qui interrogent toutes la problématique de la politique des flux migratoires. “System Research #1 Oder / Neisse” (2003) et “System Research #3 Bodycount” (2005) s’intéressent à la frontière entre l’Allemagne, la Tchéquie et la Pologne, et à ceux qui tentent de pénétrer illégalement dans l’espace Schengen. Toujours dans une démarche proche du documentaire, pour “System Research #4 Maroc” (2005–2007) Alexander Odermatt a travaillé dans des zones de passage entre le Maroc et l’Espagne afin de saisir la réalité et le quotidien des migrants des régions subsahariennes. La série présentée ici porte le titre “System Research #2 Intimacy”. Dès le premier regard, ces photographies sèment le trouble ; faisant inévitablement référence au genre du portrait par un cadrage rapproché, frontal et vertical et un arrière-plan neutre, elles sont pourtant dépourvues de leur constituant principal, le sujet. Restent des objets, un décor. On pourrait être tenté d’y voir une sorte de portait par les objets, devenus ainsi attributs et dont le rôle serait d’évoquer le modèle en son absence. Mais on perçoit tout aussi rapidement que l’omission du sujet est ici plus qu’un exercice de style : elle marque l’image d’une tension dramatique.

Ces plans serrés sur les tables de nuit d’un centre de refoulement de requérants d’asile nous projettent dans l’intimité des migrants qui y séjournent. Une intimité toute relative – dans ces dortoirs qu’on devine sans âme – qui se résume à quelques effets personnels posés à côté d’un lit. Une brosse à cheveux, un livre saint, une bouteille d’eau, des icônes, de la nourriture, un tube de dentifrice ; toutes les possessions de ces migrants doivent tenir sur une table de nuit. Par l’absence du sujet, Alexander Odermatt attire notre attention sur la nature de ces objets, qui deviennent ainsi l’expression ultime de la condition humaine, de la culture et de l’identité : l’hygiène, la nourriture, la religion et la volonté de s’adapter. Par leur petit nombre, ils évoquent encore tout ce qui a été abandonné ou perdu dans le pays d’origine, les biens matériels mais aussi les biens immatériels. Ces objets ne sont pourtant au centre de l’attention que par défaut et mettent en évidence l’absence du sujet. En omettant l’élément principal de la composition, Alexander Odermatt parvient à concentrer notre intérêt sur l’individu et sur sa condition de requérant d’asile. Invisible parce qu’il se cache, parce qu’il ne correspond pas à la norme mais aussi et surtout parce qu’on ne veut pas le voir, parce qu’aux yeux des lois et des frontières il n’existe pas. Le photographe dit ainsi toute la difficulté d’être, d’exister, d’exprimer son identité dans la situation transitoire et déchirante qu’est la migration. Le décor dans lequel sont prélevés ces portraits, tout comme les objets, trahissent le dénuement des conditions de vie des requérants d’asile. Le dépouillement du mobilier, la froideur du métal et la blancheur des murs trahissent un lieu purement fonctionnel, neutre et froid, fait pour loger provisoirement et non pour accueillir, pour s’installer. Le confort minimum qu’on accorde aux requérants d’asile ne tolère pas l’expression de l’identité ni de la culture. Pourtant, à y regarder de plus près, ce qu’on aurait pu prendre pour des murs défraîchis ou tâchés, sont en réalité des restes de posters ou des photos, qu’on a affichés puis tenté de décoller ; des écritures plaquées sur la paroi – ce réflexe tellement humain de laisser une trace, si dérisoire soit-elle, de dire qui on est et qu’on est passé par là. D’exprimer son identité. (Anne Froidevaux)

Année de production : 2004

headphone Alexander Odermatt

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